banner sion 1170x270

ACBLePeupleL'élection au Conseil fédéral d'lgnazio Cassis, plus libéral que radical, a donné des ailes à nos industriels de l’armement : autodéclarées aux abois, les entreprises RUAG, Rheinmetall et compagnie ont demandé en 2017 d'assouplir encore plus l'ordonnance sur l'exportation du matériel de guerre. Elles exigeaient la possibilité d'exporter des armes vers des pays en conflit armé interne, afin de pouvoir s'aligner sur la réglementation européenne, moins restrictive. Et ce, pour garantir des milliers d'emplois et pour assurer la sécurité de la Suisse. Le Conseil fédéral, qui avait durci les règles en 2008 pour combattre l'initiative du GSsA contre les exportations de matériel de guerre, les avait depuis adoucies plusieurs fois. Alors, pourquoi ne pas aller plus loin encore …

Avec 447 millions de francs, les armes de guerre ont représenté 0,15% des exportations suisses en 2017. Si les pays destinataires sont principalement l'Allemagne (118 millions), la Thaïlande (88 millions) et le Brésil (33 millions), parmi les autres destinataires figurent des pays impliqués dans des guerres et/ou qui ont une définition des droits de l'homme assez éloignée de la nôtre, comme l'Arabie Saoudite, le Pakistan, les Émirats arabes ou bien la Turquie.

Les arguments des industriels ont quand même fait mouche: le 15 juin dernier, le Conseil fédéral a donc annoncé son intention d'aller dans le sens de l'économie en décidant d'autoriser l'exportation de matériel de guerre vers des pays en conflit interne « s'il n'y a aucune raison de penser que ces armes suisses seront utilisées dans le conflit ». De plus, il allongeait l'octroi de l'autorisation, qui passait à 2 ans au lieu de 1 année.

Le Conseil fédéral franchissait alors une ligne rouge, en mettant en jeu sans vergogne les valeurs défendues par notre Constitution, notre volonté d'offrir nos bons offices, la neutralité de notre pays. Déjà que l'industrie de l'armement suisse ne s'embarrasse pas tellement de savoir si ses activités sont éthiquement irréprochables et déjà qu'avec la législation actuelle, les dérapages existent (des grenades à main produites par RUAG ont été trouvées en Syrie, des fusils d'assaut au Yémen), le flou du texte proposé par le Conseil fédéral ne rassurait pas du tout... Qui pouvait bien croire qu'au final, il n'y aurait pas encore plus d'abus ? (Petite devinette en passant: quel(s) parti(s) a-t-on retrouvé(s) parmi les soutiens du Conseil fédéral ?) Heureusement, les citoyens se sont réveillés. Une coalition contre les exportations d'armes vers les pays en guerre civile a réuni 25 000 personnes en moins de deux jours, et la population a alors montré qu'il faut encore compter sur sa capacité à se mobiliser pour des valeurs qui ont fait et font encore la réputation de notre pays. Tenant à ce que la Suisse reste une nation à tradition humanitaire, elle a ainsi obtenu, avec la pression exercée par des ONG, par le CICR ou par des politiciens de tout bord, que le Conseil fédéral recule.

Le très à droite Conseil fédéral a pris un risque détestable: mettre en péril la diplomatie humanitaire de notre pays pour satisfaire les appétits d'une industrie qui représente 0,15% de nos exportations. Et il a perdu. La population suisse ne consent pas à sacrifier l'éthique pour le « tout aux affaires ». Que le Conseil fédéral puisse à l'avenir retenir cette bonne leçon.

Annick Clerc-Bérod
16 novembre 2018