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Antoine ConfortiLa guerre des mots – 1. libéral

(Temps de lecture: court. Intérêt pour briller en société: grand. Polémique à prévoir: modérée.)

Nous sommes tous libéraux; notre société est libérale – et, non, libéral n'est pas un gros mot. Un libéral est un partisan de la liberté, un ennemi de l'oppression. En son sens politique, il qualifiait d'abord les opposants à la monarchie absolue et son arbitraire, puis après la Grande Révolution les républicains de toute espèce et plus généralement les héritiers des Lumières. À cette époque, pas de connotation économique! les libéraux valaisans établissent par exemple lors de leur première majorité (1839-1844) un nombre spectaculaire de taxes sur l'importation de production étrangère, et un impôt direct sur la fortune personnelle en décembre 1850: ceux qui pestent alors contre l'idéal d'un état social fort (porté par les radicaux) sont les conservateurs.

Et peut-être mon lecteur connaît la vieille Chanson des impôts (ca 1857) de Maurice-Joseph Besson, président de Verbier et député au Grand Conseil? j'en donne à lire un couplet:

    «Près de deux millions
    de dettes aujourd'hui nous comptons;
    d'énormes traitements
    sont fixés à nos gouvernements.
    Tous ces receveurs,
    vérificateurs,
    tous ces grands chiffreurs
    boivent nos sueurs.
    On ne sait que créer des emplois.
    Ha! ce n'est plus comme autrefois.»

Il est vrai qu'au cours du XIXème siècle différents libéraux deviennent également partisans d'un certain modèle économique (on voit par exemple se mettre en place sur leur impulsion des traités de libre-échange), mais assez vite une authentique scission se révèle: d'un côté les défenseurs du capitalisme se confondent un peu partout avec les conservateurs et de l'autre on se nomme bientôt très volontiers socialiste. C'est par ailleurs suite au succès populaire de cette nouvelle gauche – et en particulier la Révolution d'Octobre – que les économistes classiques et les défendeurs du patronat revendiquent le qualificatif de libéral, qualificatif que les communistes combattent en réponse.

Et voilà où nous en sommes! sur la base d'un glissement sémantique les partis «libéraux» se sont mués en partis capitalistes, et pourtant – pourtant – des libéraux au sens premier du terme, il me semble qu'on ne voit plus que ça? que nous sommes tous favorables à la liberté de conscience, d'expression, de culte, à la liberté de la presse, et de façon générale aux composantes de notre État de droit.

Ce qui nous oppose, nous, aux «libéraux» d'aujourd'hui, c'est notre refus et leur acceptation des privilèges que l'avènement des républiques n'a pas abolis, notre insoumission et leur docilité envers les forces de l'argent, et en somme notre poursuite et leur abandon d'une lutte commencée quelques deux siècles de ça, pour la liberté.